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Histoire partagée : Déconstruire le mythe de l'étranger perpétuel

Photo du rédacteur: barbara-moullanbarbara-moullan

Selon une étude de l'institut Kantar publiée en 2023, 60% des jeunes de 18 à 30 ans considèrent que la laïcité est instrumentalisée pour stigmatiser les musulmans. Plus de la moitié des enseignants s'autocensurent sur les questions religieuses. Ces chiffres révèlent une fracture profonde dans notre société : la méconnaissance de notre histoire commune alimente les tensions actuelles.


La France entretient avec ses minorités religieuses une histoire complexe, faite d'ombres et de lumières. Dès le Moyen Âge, les communautés juives subissent persécutions et expulsions. Le roi Philippe le Bel les chasse du royaume en 1306, confisquant leurs biens. La "rouelle", marque discriminatoire, leur est imposée. La Tour de Constance à Aigues-Mortes symbolise, elle, la persécution des protestantes après la révocation de l'Édit de Nantes : Marie Durand y fut emprisonnée 38 ans pour sa foi, gravant le mot "RESISTER" toujours visible aujourd'hui. Avec l'islam, la relation est tout aussi ambivalente. La colonisation de l'Algérie en 1830 s'accompagne d'une politique de destruction des lieux de culte musulmans : sur 2000 mosquées en Algérie en 1830, il n'en reste que 850 en 1862. Le "code de l'indigénat" institutionnalise la discrimination. Paradoxalement, c'est cette même République coloniale qui construit la Grande Mosquée de Paris en 1926, reconnaissance du sacrifice des soldats musulmans. C'est elle aussi qui élit son premier député musulman, Philippe Grenier, dès 1896.

Cette histoire en demi-teintes se lit dans nos monuments : nous en ferons le tour tout au long de l'année avec le projet 120 ans, 120 lieux.


Dans la France d'aujourd'hui, où les actes antisémites ont augmenté de 74% en 2023 (ministère de l'Intérieur) et où 40% des musulmans déclarent subir des discriminations, cette histoire résonne particulièrement. Elle rappelle que les combats d'aujourd'hui s'inscrivent dans une longue tradition de luttes et de reconnaissances.


"On nous fait croire que nous sommes des nouveaux venus mais quand vous visitez le cimetière musulman de Bobigny, créé en 1937 pour les soldats morts pour la France, vous comprenez que cette histoire est plus ancienne." nous indique une lectrice en réponse au mail de présentation du projet.


Le judaïsme français raconte une histoire similaire. De la maison de Rachi à Troyes aux synagogues médiévales de Carpentras ou Lunéville, les traces d'une présence millénaire contredisent le récit de l'éternel étranger.


Les discriminations restent une réalité brutale : 40% des musulmans déclarent en avoir subi en 2022 (IFOP). Mais l'histoire apporte des armes pour résister. Quand on découvre que le premier député musulman, Philippe Grenier, fut élu à Pontarlier en 1896, la légitimité devient évidente. Cette histoire n'a pas toujours été belle. Des persécutions médiévales à la déportation des juifs, des massacres des protestants à la colonisation, la France a aussi été le théâtre de violences religieuses. Mais c'est précisément cette Histoire complexe qui nous rappelle que les membres de la communauté juive ou de la communauté musulmane ne sont pas des "invités" dans ce pays. Les preuves sont là : le Château des Ducs de Bretagne et son Édit de Nantes (1598), la Grande Mosquée de Paris (1926) construite par la République, les collections islamiques du Louvre. Autant de témoins d'une France façonnée par ses différentes traditions religieuses.


Connaître l'Histoire n'efface pas les injustices actuelles. Mais elle nous donne des arguments contre ceux qui voudraient nous faire croire que certains français sont "de trop". Elle rappelle que la France s'est toujours construite dans la diversité, même si cette construction fut souvent conflictuelle.


Connaître cette Histoire nationale, c'est refuser le récit simpliste d'une France qui aurait été homogène avant de devenir diverse. C'est comprendre que nos ancêtres ont déjà mené ces combats pour la reconnaissance. C'est transformer notre regard : nous ne sommes pas des étrangers cherchant à nous intégrer, mais les héritiers d'une présence séculaire. En 2025, célébrer les 120 ans de la loi de 1905 prend un sens particulier. Dans une France où les discriminations religieuses persistent, où le débat sur la laïcité se durcit, le projet "120 ans, 120 lieux" propose un autre récit : celui d'un patrimoine commun qui transcende les clivages.

Au fil de ces 120 reportages, c'est une autre histoire de France qui émerge. Une histoire où les différences religieuses, loin d'être un obstacle, ont enrichi notre culture commune. Une histoire qui nous rappelle que la diversité n'est pas une menace pour la République, mais son essence même. Comprendre que nos ancêtres ont déjà traversé des périodes de tension, qu'ils ont résisté, qu'ils ont contribué à façonner ce pays, c'est puiser dans le passé la force d'affronter les défis d'aujourd'hui. Car l'histoire ne se contente pas de raconter ce qui fut : elle nous arme pour ce qui sera. Face à la montée des discriminations, face aux tentatives d'exclusion, cette mémoire partagée devient notre meilleure alliée. Elle nous rappelle que nous ne demandons pas une place dans le récit national : nous en sommes les auteurs, depuis toujours.



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